Éric Emmanuel Schmitt - Quand je pense que Beethoven est mort alors que tant de crétins vivent....

vendredi 4 août 2017
par  Colette PISELLA


Éric Emmanuel Schmitt - Quand je pense que Beethoven est mort alors que tant de crétins vivent....

« Bach, c’est la musique que Dieu écrit.

Mozart, c’est la musique que Dieu écoute.

Beethoven, c’est la musique qui convainc Dieu de prendre un congé car il constate que l’homme envahit désormais la place. 

Avec Beethoven, Dieu perçoit que l’art ne parle plus de lui, ne s’adresse plus à lui ; il parle des hommes et s’adresse aux hommes. »

« Les apprécierais-je, ces vers de Friedrich von Schiller, sans les ailes puissantes que Beethoven leur ajoute afin qu’ils volent haut ? Je juge pertinent qu’on distingue leurs travaux par deux mots différents : on appelle Ode à la joie les strophes de Schiller et Hymne à la joie la déferlante sonore de Beethoven. ….. L’œuvre la plus haute de Beethoven demeure la plus accessible : c’est une messe, la messe de l’humanité, celle qui accueille chacun quels que soient son âge, sa couleur, sa classe sociale, sa religion, celle qui nous indique que nous devons dépasser la souffrance et nous aventurer dans l’allégresse....... la musique de Beethoven offre une leçon. Nos vies sont dramatiques, tragiques, douloureuses, mais le drame ne constitue pas le but du drame, le tragique doit être accepté, la douleur surmontée. Libérons-nous ! Parce que nous subissons la tristesse, l’inévitable tristesse, nous ne devons pas la cultiver. Mieux vaut cultiver la joie. Que la liesse domine ! Beethoven nous emmène à l’école de l’énergie. »

« La comédie peint ce qu ’il y a de petit en l’homme, la tragédie montre ce qu’il y a d’élevé. L’une vise bas, l’autre vise haut. Comédie et tragédie ne s’opposent pas sur le rire et les larmes – on ne s’esclaffe pas forcément à une comédie, on ne sanglote pas nécessairement à la tragédie -, mais sur le contenu philosophique. La comédie souligne les défauts des hommes, niaiseries, mesquineries ; la tragédie en exalte les qualités, intelligence, courage. La comédie diminue, la trgédie agrandit. …... Beethoven me le prouve : on peut chanter dans une impasse, revendiquer l’optimisme en ayant conscience du tragique. Parce qu’on dénonce le mal, la violence, la douleur, parce qu’on présente l’homme dans l’obscurité, les fers ou l’ignorance, on désigne sa précellence, on fête sa vaillance. »

« Je ne connais rien de plus vertigineux qu’une étincelle.

Brève, fragile, expirant dès sa naissance si elle ne trouve pas où se lover, elle surgit et s’éclipse. On ne se méfie pas de cet éclat, lequel déclenche pourtant les incendies ravageurs, les feux inextinguibles, les désastres qui nous terrorisent.

La pensée est une étincelle. L’air bénin, inefficace, elle n’annonce pas en son début les proportions que peut prendre sa diffusion, ni sa capacité d’embraser le monde en bien comme en mal.

Sous le crâne de Beethoven, il y a une étincelle. »

« Le but n’est pas de changer la condition humaine en devenant immortel, omniscient, tout-puissant ; non, le but est d’habiter la condition humaine.

Pour y parvenir, il faut d’abord accepter notre fragilité, nos défaillances, nos tourments, notre perplexité ; abandonner l’illusion de savoir ; faire le deuil de la vérité ; reconnaître l’autre comme un frère en questionnement et en ignorance ; cela s’appelle l’humanisme.

Pour s’y maintenir, il faut lutter contre la peur, celle de l’échec, celle de la vie, celle de la mort ; cela s’appelle le courage.

Pour y persévérer, il faut exhaler ce qu’il y a de meilleur en l’homme, de beau dans le cosmos, d’admirable parmi la création ; cela s’appelle la hauteur.

Pour s’y sentir bien, il faut dépasser la tristesse, le désarroi, la haine du provisoire, le besoin de possède ; on doit préférer ouvrir les bras, privilégier l’énergie, célébrer l’existence ; cela s’appelle la joie.

Humanisme, courage, culte de la hauteur, choix de la joie : voilà les quatre propositions de Beethoven.

Cela s’appelle une morale. »

« Il y a deux naïvetés, la néfaste ou la salutaire.

Celle qui nie le mal et celle qui le combat.

La naïveté dangereuse consiste à ignorer les mauvaises intentions, à minorer l’injustice, à contester le sadisme, la cruauté ou la sottise. Cette naïveté-là – un angélisme- rejoint l’imbécillité tant elle s’aveugle et s’écarte de la réalité.

La fructueuse naïveté, en revanche, se s’illusionne pas sur l’état corrompu du monde. Sa marque distincte ? Elle agit. Elle refuse de collaborer avec le négatif, elle s’engage dans la lutte, elle continue à affirmer des valeurs positives, elle prétend que les individus améliorent les choses. »

« Le joyeux ne manque de rien. Pourtant il n’a pas tout – qui possède tout ? En revanche, il se contente de ce qu’il a. Mieux : il s’en délecte. Le joyeux n’éprouve pas de frustration. Alors qu’au déçu, au déprimé, au mélancolique, au fatigué, tout fait défaut........ Se réjouir et jouir, telle s’avère la joie. Elle ne demande rien, elle ne déplore rien, elle ne se plaint de rien. Elle célèbre. Elle remercie. La joie est gratitude..... Notre époque ne goûte pas la joie. Elle préfère l’étourdissement et le divertissement, ces pratiques qui nous arrachent à l’ennui ou l’affliction. Dans le joyeux, elle ne voit qu’un abruti, jamais un sage. »