Gide- les nourritures

jeudi 26 mars 2015
par  Colette PISELLA

André Gide – les nourritures

« Nathanaël, ne cherche pas dans l’avenir, à retrouver jamais le passé. Saisis de chaque instant la nouveauté ressemblante et ne prépare pas tes joies, ou sache qu’en son lieu préparé te surprendra une joie autre. »

« Nathanaël, je te parlerai des instants. As-tu compris de quelle force est leur présence. Une pas assez constante pensée de la mort n’a donné pas assez de prix au plus petit instant de ta vie. Et ne comprends-tu pas que chaque instant ne prendrait pas cet éclat admirable, sinon détaché pour ainsi dire sur le fonds très obscur de la mort ? »

« Quelle absurde conception du monde et de la vie parvient à causer les trois quarts de notre misère et par attachement au passé se refuse à comprendre que la joie de demain n’est possible que si celle d’aujourd’hui cède la place, que chaque vague ne doit la beauté de sa courbe qu’au retrait de celle qui la précède, que chaque fleur se doit de faner pour son fruit, que celui-ci s’il ne tombe et meurt, ne saurait assurer des floraisons nouvelles, de sorte que le printemps même prend appui sur le seuil de l’hiver. »

« Ô toi pour qui j’écris – que j’appelais autrefois d’un nom qui me paraît aujourd’hui trop plaintif : Nathanaël, que j’appelle aujourd’hui : camarade – n’admets plus rien de plaintif en ton cœur.

Sache obtenir de toi ce qui rende la plainte inutile. N’implore plus d’autrui ce que, toi, tu peux obtenir.

J’ai vécu ; maintenant c’est ton tour. C’est en toi désormais que se prolongera ma jeunesse. Je te passe pouvoir. Si je te sens me succéder, j’accepterai mieux de mourir. Je reporte sur toi mon espoir.

De te sentir vaillant me permet de quitter sans regrets la vie. Prends ma joie. Fais ton bonheur d’augmenter celui de tous. Travaille et lutte et n’accepte de mal rien de ce que tu pourrais changer.. sache te répéter sans cesse : il ne tient qu’à moi. On ne prend point son parti sans lâcheté de tout le mal qui dépend des hommes. Cesse de croire, si tu l’as jamais cru, que la sagesse est dans la résignation.

Camarade, n’accepte pas la vie telle que te la proposent les hommes. Ne cesse point de te persuader qu’elle pourrait être plus belle, la vie ; la tienne et celle des autres hommes ; non point une autre, future qui nous consolerait de celle-ci et qui nous aiderait à accepter sa misère. N’accepte pas. Du jour où tu commenceras à comprendre que le responsable de presque tous les maux de la vie, ce n’est pas Dieu, ce sont les hommes, tu ne prendras plus ton parti de ces maux. Ne sacrifie pas aux idoles. »


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