Nancy Huston - l’espèce fabulatrice

dimanche 10 novembre 2013
par  Colette PISELLA


Nancy Huston - l’espèce fabulatrice

Une tentative pour expliquer ce qu’est la fiction, qui nous structure, le roman, les personnages du roman....

« A un tout petit enfant, on peut apprendre à parler n’importe quelle langue du monde, à chanter n’importe quel air, à aimer n’importe quelle nourriture et à croire en n’importe quel dieu.

L’esprit humain est comme un disque de cire sur lequel des sillons seront gravés plus ou moins profondément. Les premières empreintes – langue maternelle, histoires, chansons, impressions gustatives, olfactives, visuelles – seront les plus profondes. C’est là, on l’a vu, la matière même de notre soi. »

« Accueillir un enfant, c’est à travers des histoires, lui ménager une place à l’intérieur de plusieurs cercles concentriques : famille/ ethnie/ clan/tribu/ pays....

Pour qu’advienne son je, on doit le faire exister au milieu de plusieurs nous. Avec , toujours, plus ou moins proches et menaçants, des ils.

Tu es des nôtres. Les autres, c’est l’ennemi. Voilà l’Arché-texte de l’espèce humaine, archaïque et archipuissant. Structure de base de tous les récits primitifs, depuis la guerre du feu jusqu’à la guerre des étoiles . »

« Plus on est squeezé, sérré, écrasé, empêché, plus on a de chances de croire en l’Arché-texte, construisant une réalité en noir et blanc et prônant la violence pour éliminer le noir et imposer le blanc.

Quand on maintient les gens, année après année, dans un univers de laideur et de contrainte, on ne peut s’attendre à trouver en eux des interlocuteurs ouverts et souriants, à la parole nuancée. En se contentant de renforcer indéfiniment le dispositif sécuritaire autour des « fauteurs de trouble », l’on rend en fait ceux-ci de plus en plus dangereux car de plus en plus primitifs. »

« Le roman, dont les personnages sont des êtres ordinaires, nous incite à nous identifier non à la perfection (toujours culpabilisante), ni, négativement, à la monstruosité (repoussoirs tels que le diable , la sorcière, le criminel), mais à l’ambiguïté, au doute, au désarroi. »

« Ce n’est pas parce que l’émergence du roman est liée à celle de l’individu que le roman est intrinsèquement individualiste . Que cela nous plaise ou non, il n’y a pas de liberté sans liens - car, sans liens, il n’y a rien : ni langage, ni humanité, ni individu - ni, a fortiori, liberté. »

« Les personnages des romans ….. nous fournissent des modèles et des anti-modèles de comportement. Ils nous donnent la distance précieuse par rapport aux êtres qui nous entourent, et - plus important encore - par rapport à nous-mêmes. Ils nous aident à comprendre que nos vies sont des fictions – et que, du coup, nous avons le pouvoir d’y intervenir, d’en modifier le cours. »

« Comme le terrorisme n’est ni plus ni moins que le résultat de mauvaises fictions, ce que nos gouvernements devraient faire, au lieu de fabriquer toujours plus d’armements, c’est, dans les pays où il sévit, favoriser l’éducation, et promouvoir par tous les moyens possibles la traduction, la publication et la distribution des chefs-d’œuvre de la littérature mondiale. 

Rien ne pourrait être plus important, ni plus utile. »


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