Yasmina Khadra- Ce que le jour doit à la nuit

mercredi 3 avril 2013
par  Colette PISELLA


Ce que le jour doit à la nuit de Yasmina Khadra

« Il m’avait suffi de changer de vêtements pour les déboussoler. Aujourd’hui encore, je me demande si, tout compte fait, le monde n’était qu’apparences. Vous avez une bouille de papier mâché et un sac en jute par-dessus votre ventre creux, et vous êtes un pauvre. Vous vous lavez la figure, donnez un coup de peigne dans vos cheveux, enfilez un pantalon propre, et vous êtes quelqu’un d’autre. Cela tenait à si peu de chose. A onze ans, ce sont des éveils qui vous désarçonnent. Les questions ne vous apportant pas de réponse, vous vous accommodez de celles qui vous conviennent. J’étais persuadé que la misère ne relevait pas de la fatalité, qu’elle s’inspirait exclusivement des mentalités. Tout se façonne dans la tête. Ce que les yeux découvrent, l’esprit l’adopte, et on pense que c’est là la réalité immuable des êtres et des choses. Pourtant, il suffit de détourner un instant son attention de la mauvaise passe pour déceler un autre chemin, neuf comme un sou, et si mystérieux que l’on se surprend à rêver. »

« - Nous ne sommes pas paresseux. Nous prenons seulement le temps de vivre. Ce qui n’est pas le cas des occidentaux. Pour eux, le temps, c’est de l’argent. Pour nous, le temps, ça n’a pas de prix. Un verre de thé suffit à notre bonheur, alors qu’aucun bonheur ne leur suffit. Toute la différence est là, mon garçon. »

« Puis, au bout du virage, Marseille !.... semblable à une vestale se dorant au soleil. Répandue sur ses collines, éclatante de lumière, le nombril dégagé et la hanche offerte aux quatre vents, elle feint de somnoler, faussement inattentive aux rumeurs des vagues et à celles qui lui parviennent de l’arrière-pays. Marseille, la ville légende, la terre des titans convalescents, le point de chute des dieux sans Olympe, la croisée providentielle des horizons perdus, multiple parce qu’inépuisable de générosité ; Marseille, mon dernier champ de bataille où je dus rendre les armes, vaincu par mon inaptitude à relever les défis, à mériter mon bonheur. C’est ici, dans cette ville où le miracle est une question de mentalité, où le soleil excelle à éclairer les consciences quand elles veulent bien se donner la peine de déverrouiller leurs trappes dérobées, que j’ai mesuré le mal que j’ai fait et que je ne me suis jamais pardonné..... »


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